La déferlante chinoise
Par Blog Formation, dimanche 18 septembre 2005 à 11:47 :: Art & Culture :: #286 :: rss
GUY DUPLAT
Mis en ligne le 17/08/2005
"La plus grande collection d'art contemporain chinois», dit-on, du Suisse Uli Sigg, exposée à Berne.
Les artistes chinois «peuvent tout faire"
La Chine déferle sur le monde de l'Internet, par ses produits textiles, dans les compétitions sportives comme dans le cinéma. En art contemporain aussi. La vaste exposition de la collection Uli Sigg, au Kunstmuseum de Berne, en témoigne abondamment. Des dizaines d'artistes chinois, la plupart encore inconnus chez nous, y montrent leurs oeuvres. Ils ont assimilé toutes les techniques - la peinture (abondamment représentée), la vidéo, la photo, les installations, et même la provocation - avec une dextérité et une inventivité remarquables. Ils présentent des oeuvres abouties, travaillées jusque dans leurs moindres détails. Pour la photographe d'avant-garde Xiao Hui Wang, «la culture chinoise peut se comparer à une mousse qui absorbe tout puis le digère et le transforme».
Harald Szeeman
Uli Sigg présente à Berne, au Kunstmuseum, sur les trois étages du musée et jusqu'à la mi-octobre, 300 oeuvres de 120 artistes. Aujourd'hui, l'art contemporain chinois est présent dans toutes les grandes manifestations. Il a fait une entrée officielle en 1999, quand Harald Szeeman a invité un fort lot d'artistes chinois à la Biennale de Venise. Uli Sigg fut son conseiller pour l'art chinois car il avait une bonne longueur d'avance sur tout le monde.
Petit, le crâne dégarni, l'air malicieux, il adore parler de sa passion: «Ces artistes peuvent tout faire, ils osent tout», nous dit-il. «Sauf exposer dans leur propre pays. Leurs oeuvres seraient souvent impossibles à réaliser ailleurs qu'en Chine car elles demandent une vaste main-d'oeuvre très qualifiée qu'on ne peut trouver à bon marché qu'en Chine.» Le Belge Wim Delvoye a compris le raisonnement puisqu'il a acheté une ferme près de Pékin, où il élève des cochons que des tatoueurs chinois gravent pour lui.
Où, en dehors de la Chine, pourrait-on trouver des grandes oeuvres réalisées en minuscules points de broderie et représentant des caricatures de l'époque maoïste avec des bourgeois américanisés sur fond de drapeau ensoleillé? Ou cette table de torture en métal finement réalisée, armée de pointes, d'étaux et de lames? Ou ce portrait gigantesque tout piqueté de fils de laine noués d'un côté et reliés de l'autre à une énorme natte? Ou cette parodie hilarante de parade militaire sur la place Tienanmen, réalisée en sculptures avec des figurines comme tirées de la guerre des étoiles? Ou encore cette énorme colonne de graisse humaine collectée par liposuccion et appelée «colonne de la civilisation» ?
Mao omniprésent
La libéralisation de l'art en Chine est relativement récente. Sous la révolution culturelle et la bande des 4, la culture était rigoureusement codifiée. Seuls les quatre opéras composés par la femme de Mao pouvaient être joués et chantés. Les images du grand timonier étaient omniprésentes et les artistes représentaient fidèlement la verrue sous sa bouche. Les films étaient exclusivement consacrés à vanter les grands moments de la guerre de libération contre les Japonais. Après la mort de Mao en 1976, les choses évoluèrent. Et en 1979, l'éphémère «printemps de Pékin» voit naître des artistes non officiels. Mais la libération sera lente et les expositions d'art contemporain interdites, parfois encore aujourd'hui. Depuis quelques années, les artistes sont libres de faire ce qu'ils veulent, les autorités chinoises ayant d'autres chats à fouetter. Mais s'ils peuvent tout imaginer, il reste très difficile pour un artiste chinois d'exposer dans son pays. Beaucoup ont émigré en Europe et aux Etats-Unis, après la répression de la place Tienanmen en 1989.
Dans l'exposition d'Uli Sigg, on retrouve omniprésentes des références à l'époque maoïste et au passé récent de la Chine. Il est rare de voir ainsi toute une scène nationale se frotter comme cela aux bouleversements socio-politiques qui la touchent. Mao est représenté dans un univers de fleurs psychédéliques, ou s'extasiant devant l'urinoir de Duchamp, ou en compagnie d'une vamp actuelle. Il reste l'image tutélaire, mais ici, détournée, ironique. Les grands monuments à la gloire des travailleurs sont transformés à la gloire de Chanel n°5 ou mimés par des acteurs nus ou encore reproduits en sculptures couvertes de grains de sable. La tradition chinoise ancienne est aussi présente, comme chez Ai Weiwei qui montre une table à la forme de la Chine et réalisée en bois provenant des temples anciens. Ou chez ces artistes réinventant les papiers peints en papier de riz ou les écritures chinoises.
Plusieurs artistes ont déjà exposé dans de grandes manifestations mondiales, comme le photographe Hong Hao qu'on a vu l'an dernier à Arles et qui photographie des milliers de petits objets consciencieusement rangés ou Zeng Huan qui s'est photographié en noircissant progressivement le visage d'écritures. Zeng Huan est présent à Bruges dans la belle exposition «Soul», avec plusieurs oeuvres.
La peinture est particulièrement riche, expressive et monumentale, témoignant de la dérision du monde actuel du consumérisme ambiant ou du drame des hommes. La provocation n'est pas absente. Zeng Huan montre une photo de sa performance réalisée à New York, en 1998, lorsqu'il déambula recouvert d'un manteau réalisé en viande fraîche. Un artiste a gonflé une vraie peau de cheval entier, comme une baudruche, et Xia Yu a fait scandale à Berne avec ses animaux transmutés nageant dans le formol. Il a greffé une tête de foetus vivant sur le corps d'une mouette pour manifester contre les monstres que l'on crée à partir des manipulations génétiques. Une oeuvre déjà présentée à la Biennale de Venise de 1999, sans problème. Mais ici, suite à la plainte d'un visiteur suisse pour atteinte à la paix des morts et reproduction de la violence, le musée a choisi de retirer l'oeuvre.
Chez tous ces artistes, ce qui frappe, c'est la manière impressionnante avec laquelle ils cumulent leurs racines culturelles, les techniques les plus contemporaines, les performances techniques et les exigences du marché international de l'art.
«Mahjong, art contemporain chinois de la collection Sigg», au Kunstmuseum de Berne. Tous les jours sauf lundi, de 10h à 17h, jusqu'au 16 octobre.
Tél. +41- (0) 31.32.80.944.
© La Libre Belgique 2005
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